La Loque européenne (qui n’a d’européenne que le nom) est une maladie du couvain qui présente un caractère de gravité moindre que la loque américaine (qui, en passant, n’a aussi d’américaine que le nom). Cette maladie, qui a été récemment déclassée de la liste des Maladies Réputées Contagieuses (voire l’article, « La déclaration des maladies ») se gère en effet plus facilement.
Cependant, si on l’appelle aussi loque bénigne par opposition à la loque maligne (= la loque américaine), la loque européenne est une maladie à ne pas négliger.
Une association de malfaiteurs
Il n’y a pas un mais plusieurs agents responsables de la loque européenne. Il s’agit pour tous de bactéries : les deux principales étant Melissococcus pluton et Paenibacillus alvei. Ces deux espèces provoquent les formes typiques de loque européenne.
1. Melisococcus pluton est la bactérie la plus souvent impliquée. Il s’agit, comme son nom le suggère, d’une coque : au microscope son aspect est celui de petites boules (un peu ovales en fait) amassées en grappes. Cette bactérie n’a pas, au sens strict, la capacité de produire de spore, mais peut créer ,lorsque les conditions lui sont défavorables, des formes de résistances, moins… résistantes que les spores.
2. Paenibacillus alvei , comme son nom l’indique est un bacille (forme de bâtonnet au microscope) .
Comme Paenibacillus larvae, agent de la loque américaine, cette bactérie sporule lorsque les conditions de son développement ne sont plus idéales (voir l’article sur la gestion de la loque américaine). Cependant, nous verrons que le problème posé par les spores de loque européenne est moindre que celui de la loque américaine.
Il existe également d’autres espèces de bactéries qui s’attaquent également au couvain ouvert (non operculé) et qui provoquent des symptômes moins sévères et légèrement différents de la loque européenne « type » : Streptococcus faecalis par exemple, pour laquelle l’odeur des larves en putréfaction est très acide et provoque une maladie appelée « couvain vinaigre », En fait, plus qu’une
seule maladie, la Loque européenne correspond à un complexe regroupant des espèces s’attaquant au couvain ouvert.
Une maladie secondaire à des carences en protéines
On considère actuellement que l'apparition de loque européenne découle d'un ensemble de conditions défavorables qui affaiblissent la ruche et son couvain. Ceci implique que la prévention de cette maladie et son traitement doivent passer par la correction de ces conditions défavorables.
Les carences alimentaires sont le principal facteur et tout particulièrement les carences en protéines. Les protéines sont les « briques » des organes de l’abeille. Une carence en protéines entraîne un véritable cercle vicieux qui sape la qualité des abeilles de la ruche :
Le couvain qui reçoit lors de sa croissance une alimentation carencée donne quelques jours après sa naissance des nourrices dont les glandes qui produisent la geléeroyale sont mal développées et produisent peu de gelée royale de mauvaise qualité .
La génération suivante de couvain se retrouve carencée et ainsi de suite.
L’affaiblissement des abeilles et de la ruche, si les carences persistent, finit par dépasser le seuil au delà duquel la Loque européenne apparaît.
Penchons nous maintenant sur l’origine de ces carences en protéines :
1. La première cause qui vient à l’esprit, c’est naturellement un manque de pollen de qualité.
soit que le temps est défavorable à la production de pollen de qualité par les végétaux.
soit que les conditions météorologiques empêchent les abeilles de sortir récolter le pollen.
2. D’autres causes sont très importantes : l’action d’autres maladies de l’abeille.
Nosema apis , agent de la très en vogue nosémose, qui provoque une inflammation du tube digestif de l’abeille, ce qui a pour conséquence de diminuer l’assimilation des protéines alimentaires et même d’entraîner des fuites de protéines du tube digestif.
Varroa destructor : en pompant l ‘hémolymphe (le « sang » de l’abeille), le varroa la spolie de ses protéines. Si l’apiculteur le laisse faire, Varroa peut poser en effet dès l’été une bombe à retardement pour l’hiver et le printemps qui suivent : à la fin de l’été naissent en effet les abeilles qui devront hiverner et assurer l’élevage des premières abeilles de l’année suivante.
Au sein de leur organisme, un organe appelé le corps adipeux sert de réserve en protéines et d’énergie pour l’hiver. Si l’apiculteur ne veille pas à diminuer au maximum la pression du Varroa à la fin de l’été (et c’est à ce moment qu’elle est la plus forte), le corps gras, ne sera pas assez développé pour assurer une bonne reprise de l’élevage du couvain au printemps suivant.
Le virus du couvain sacciforme est aussi suspecté de diminuer la production de gelée royale par les nourrices infectées. Les nourrices ainsi affaiblies et carencées en protéines ne produiront pas une gelée royale de qualité.
Il y a un moment ou tous ces facteurs s’accumulent : le printemps et ses frimas : le pollen peut être rare,
le temps mauvais empêche la récolte de suffisamment de pollen par les butineuses, la nosémose et Varroa ont affaibli les abeilles qui ont hiverné.
D’autres facteurs que les carences protéiques existent, comme pour toutes les maladies du couvain, lorsque :
Il n’y a pas assez de nourrices pour s’occuper du couvain (inspection, nettoyage et l’alimentation). Ainsi la loque européenne peut avoir une expression très sporadique : lorsque la miellée de printemps commence brutalement, un certain nombre de nourrices peuvent être recrutées pour
butiner, il n’y a alors plus assez de nourrices pour s’occuper du couvain et la maladie apparaît. A la fin de la miellée de printemps ou lorsque les conditions météo gênent la récolte, le retour à un effectif suffisant de nourrices peut permettre l’arrêt spontané de la maladie.
La souche d’abeille n’est pas assez nettoyeuse, la reine trop vieille.
Le développement de la maladie dans la ruche
La contagion entre ruches se fait de manière similaire à la Loque américainne
. Pour résumer, elle se fait essentiellement de trois façons :
- par pillage par des colonies saines de colonies affaiblies par la loque européenne.
- Par les manipulations apicoles (matériel souillé, échange de cadres contenant ou non du couvain …).
- Par dérive des abeilles entre ruches voisines.
Soulignons tout de suite qu’il s’agit d’une maladie qui ne s’attaque qu’au couvain et n’a pas d’impact sur les abeilles adultes.
1. Les larves sont contaminées par de la nourriture contenant des bactéries, généralement dans les 2 jours qui suivent l’éclosion. Les bactéries se multiplient rapidement dans l’intestin moyen de la larve et il semble que l’action pathogène de Melissococcus pluton soit essentiellement par compétition alimentaire : la multiplication des bactéries consomme une grosse part de la nourriture qu’ingère la larve.
2. Au départ, la demande en nourriture de la larve augmente avant que celle-ci présente des symptômes (dans certaines colonies fortes, les nourrices éliminent ces larves anormalement voraces, ce qui peut enrayer ou retarder le développement de la maladie dans le couvain).
3. Si le nombre de nourrices est suffisant, la quantité de nourriture apportée peut suivre l’augmentation de la demande, jusqu’à un certain point, qui coïncide souvent avec le début de la miellée : à ce moment la quantité de couvain augmente et un certain nombre de nourrices est détournée vers le
butinage. La larve malade meurt et les symptômes typiques de loque européenne apparaissent.
Il semble que certaines larves puissent, si la colonie est forte, survivre : les nymphes et les adultes issus
de ces larves sont faibles. Une grosse quantité de bactéries est éliminée par les fèces de ces nymphes et tapisse les parois de l’alvéole, assurant la contamination des larves suivantes.
Au sein de la ruche, les nettoyeuses évacuent les larves mortes. L’évacuation des larves mortes est plus facile que lors de Loque américaine : la larve morte ne file pas et en se desséchant, elle forme un amas (« écaille » qui n’adhère pas aux parois de l’alvéole. De plus les spores de Paenibacillus alvei sont moins
résistantes que celles de la Loque américaine. Ces éléments contribuent à rendre l’élimination de l’agent pathogène plus aisée pour les abeilles et pour l’apiculteur.
Reconnaître les symptômes et les différencier de ceux de la Loque américaine.
Un point très important à retenir est que la très grande majorité du temps, seul le couvain non operculé est atteint. Aux abords de la ruche :
L’odeur que dégage une ruche atteinte de Loque européenne varie selon la bactérie qui en est responsable, généralement il s’agit d’une odeur aigre, différenciable de l’odeur de Loque américaine.
La présence de cette odeur est un élément caractéristique mais inconstant. Son absence n’est donc pas une assurance.
Lorsque l’atteinte est forte et ancienne, elle peut engendrer un dépopulation importante. Un examen du couvain s’impose, attention il peut y avoir dans la même ruche affaiblie Loque américaine et européenne.
Le couvain a un aspect de mosaïque, ce qui n’est caractéristique de rien sauf d’une mortalité anormale du couvain. Nous avons déjà vu que cette anomalie peut être aussi bien provoquée par la Loque américaine, le couvain plâtré, une reine déficiente…
Les larves malades ont souvent une mobilité plus importante, ce qui explique qu’on pourra retrouver des larves mortes dans des positions très variables et souvent tordues. La quasi totalité des larves meurt avant operculation, au stade enroulé (après operculation, c’est exceptionnel).
Le test de l’allumette permet de clarifier la situation entre Loque européenne et américaine :
introduire une brindille ou une allumette dans l’alvéole contentant la larve, remuer. La larve a une consistance friable, parfois un peu visqueuse, mais ne file pas véritablement (lors de Loque américaine, on peut étirer un fil visqueux sur plusieurs centimètres).
Cas particulier (et rare) des formes de la maladie ou la mort des larves a lieu après operculation :
Ce cas de figure pose des problèmes pour le différencier des cas de Loque américaine. Les opercules sont affaissés, percés, d’aspect sombre et humide. En retirant avec précautions l’opercule, on peut parfois constater que sa face interne est recouverte d’une couche noire ressemblant à de la laque. Cependant, pour y voir plus clair …
1. Au test de l’allumette, la larve morte est friable parfois un peu
filante.
2. L’écaille, marron à noire, se détache facilement.
Gestion et prévention de la Loque européenne
Devant la maladie, le premier réflexe de l’apiculteur est de se dire : pas de bol ! où sont lesantibiotiques ? Double erreur :
1. Des études menées au Royaume Uni, ou les antibiotiques constituaient le traitement habituel de la maladie ont montré leurs limites : jusqu’à 25 % des colonies traitées récidivaient l’année suivante ! !
Même si le problème se pose de manière moins dramatique que lors de Loque américaine, il existe aussi lors de Loque européenne des formes de résistances insensibles aux antibiotiques, la récidive est très probable, surtout si les causes favorisantes de la maladie sont ignorées. Enfin, le traitement antibiotique, s’il est facile à faire, pose également le problème des résidus dans le miel.
2. Est-ce vraiment la « faute à pas de bol » ? Il est important, pour aider la colonie et éviter les récidives, d’identifier et corriger les facteurs qui favorisent l’apparition de la maladie.
Dans la vie, pas de miracles, une colonie vigoureuse craint moins la Loque européenne. Si l’on reprend les facteurs qui favorisent l’apparition de la maladie et que l’on se penche sur les moyens pour aider la colonie à lutter contre la maladie et la prévenir, on voit que :
Il y a des contraintes sur lesquelles l’apiculteur a peu de prises : la météo et la disponibilité en pollen de l’environnement des ruches, à moins de faire des nourrissements protéinés ou de changer de région.
D’autres éléments peuvent être améliorés pour faire pencher la balance du bon côté :
• Une lutte acharnée pour maîtriser le varroa et ses conséquences. Et oui, on rabâche ! Le
varroa toujours et encore !
• Moins aisée est la lutte contre la nosémose et plus anecdotiquement le virus du couvain sacciforme.
• Rechercher des souches d’abeilles à fort comportement de nettoyage : comme toujours !
• Ne pas relâcher sa vigilance. L’apiculture, ce n’est pas que poser des hausses et récolter du miel, la santé des colonies doit être une préoccupation constante : des visites régulières sont incontournables.
Concernant le traitement, revenons en à nos anglais. La mêmes étude s’est penchée sur une méthode simple dans le principe mais qui demande du travail : le transvasement. La différence avec les antibiotiques est éloquente : moins de 5% de rechute ! Le transvasement suit la même procédure que lors de Loque américaine : la colonie est transvasée dans un corps de ruche désinfecté (flamme)^, sur des cires gaufrées ou des cires bâties (d’origine « sûre »),
en plaçant du papier journal devant la ruche receveuse et en secouant les cadres au dessus du papier journal. Après le transvasement, le papier journal et les cadres de la ruche malade sont détruits, le corps est gratté soigneusement et désinfecté à la flamme.